Les chaussures sont rangées devant la porte. Une quarantaine de spectateurs ont trouvé une paire de chaussons à enfiler à l’entrée de cette pièce minimaliste, dans un immeuble discret du centre de Tokyo. Dimanche 25 août, Tomoko Ako, professeure de sociologie à l’université de Tokyo, relate son expérience dans les campagnes chinoises, qu’elle a parcourues pendant vingt ans. Dans un mandarin teinté d’un fort accent japonais, cette petite femme au regard vif décrit le développement du début des années 2000, des villages encore sans électricité, la détresse des habitants déplacés de force pour des projets de construction, les minorités ethniques oubliées et les défenseurs des droits humains avec qui elle a souvent échangé. Elle s’adresse à un auditoire averti : la plupart sont des Chinois, installés depuis peu dans la capitale japonaise. « Ce genre de conférence ne pourrait pas avoir lieu en Chine aujourd’hui, c’est tellement rafraîchissant ! », commente, sourire aux lèvres, un trentenaire chinois, arrivé quatre mois plus tôt avec un visa étudiant. « J’ai vécu l’année 2022 en Chine », précise-t-il, d’un air entendu. Pour beaucoup de Chinois, 2022 a été l’année de trop. Celle des confinements les plus drastiques, quand, après avoir réussi à contrôler la pandémie de Covid-19 par sa stratégie de tolérance zéro, Pékin s’est entêtée, malgré des variants plus contagieux et impossibles à juguler. L’année où la plupart des Chinois urbains ont fait l’expérience de l’autoritarisme le plus arbitraire, jusque dans leur intimité, redoutant que leur QR code de santé vire au rouge, synonyme de départ contraint vers un centre d’isolement aux conditions de vie effroyables. L’année, aussi, où le secrétaire général du comité central du Parti communiste chinois (PCC), Xi Jinping, a nommé une équipe exclusivement composée de fidèles pour diriger le pays lors de son troisième mandat présidentiel, éloignant toute perspective de contrepoids à son règne. Depuis, le fort ralentissement de l’économie entretient une atmosphère morose dans une Chine qui célébrera, le 1er octobre, le 75e anniversaire de l’arrivée du PCC au pouvoir. L’économie ne s’est jamais vraiment relevée de ces confinements à répétition et reste plombée par une grave crise immobilière. Les tensions commerciales et géopolitiques avec les Etats-Unis ont renforcé le sentiment d’incertitude des Chinois, de plus en plus nombreux à choisir l’exil. En 2021, le terme à la mode sur les réseaux sociaux était « run xue », que l’on pourrait traduire par « philosophie de la fuite », même si franchir le pas reste difficile. Il vous reste 87.61% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.
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A Tokyo, les exilés chinois pensent une autre Chine
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