Crise du pétrole entre le Niger et le Bénin : l’amorce d’un dégel



L’homme fort du Niger, le général Abdourahame Tiani à Niamey en 2024, et le président béninois Patrice Talon en 2022 à Paris. AFP/ERIC PIERMONT/AFP Niamey et Porto-Novo sont-ils sur le point d’enterrer la hache de guerre après des mois de crise diplomatique sur fond de blocage des exportations de pétrole ? Mardi 20 août, un million de barils de brut stockés dans les cuves du port béninois de Sèmè-Kpodji a pu être chargé sans encombre sur un tanker y ayant accosté comme prévu quelques jours plus tôt pour être exporté, selon plusieurs sources officielles béninoises et nigériennes. « C’est un premier pas vers la normalisation des relations » entre la junte nigérienne au pouvoir depuis son coup d’Etat de juillet 2023 et le Bénin, se réjouit un membre du gouvernement à Porto-Novo. Lire aussi | Frontière fermée, pétrole bloqué : la tension monte entre le Niger et le Bénin Ajouter à vos sélections Depuis que le Niger, pays enclavé, est devenu exportateur d’or noir début 2023 grâce à l’inauguration en mars d’un pipeline permettant au brut puisé dans les gisements d’Agadem, dans l’est du pays, d’être acheminé jusqu’au Bénin en vue d’être vendu sur les marchés internationaux, le pétrole est au cœur d’un imbroglio diplomatique entre Niamey et Porto-Novo. Si Niamey n’a toujours pas donné son feu vert ni à la reprise de la production à Agadem, ni rouvert sa frontière avec le Bénin, le succès de ce deuxième export, après celui qui était resté bloqué plusieurs semaines en mai, signe l’amorce d’un dégel. Le fruit d’une médiation engagée fin juin à Niamey par les deux anciens présidents béninois Thomas Boni Yayi et Nicéphore Soglo. Ainsi, le 6 août, Gildas Agonkan, nommé ambassadeur du Bénin au Niger il y a plus d’un an, a enfin pris son poste dans la capitale. Entre le 24 et le 25 juillet, la junte a également repris langue avec le président béninois Patrice Talon. Plusieurs haut gradés, accompagnés du général Mohamed Toumba, le ministre de l’intérieur, et de Soumana Boubacar, le directeur de cabinet du chef autoproclamé de l’Etat nigérien, ont été reçus à Cotonou. Une crise qui s’envenime « La discussion à bâtons rompus a permis de balayer les incompréhensions et les frustrations qui ont alimenté cette crise », souligne la source gouvernementale béninoise citée plus haut. Les putschistes n’ont jamais digéré le soutien affiché par M. Talon à l’option d’une intervention militaire régionale pour venir les déloger, agitée au lendemain du coup d’Etat. Son vote en faveur du lourd régime de sanctions économiques adopté en parallèle par les chefs d’Etat voisins et qui a mis l’économie du Niger à terre est aussi resté en travers de la gorge de Niamey. De son côté, Porto-Novo s’est offensé des accusations de tentative de déstabilisation du Niger portées le 11 mai par le premier ministre Ali Lamine Zeine, à partir de supposées « bases françaises » implantées dans le nord du Bénin pour « entraîner des terroristes ». Des allégations d’emblée rejetées par Paris et Porto-Novo. Pour dissiper tout malentendu, une délégation d’officiels nigériens a été invitée à se rendre prochainement dans le nord béninois, selon plusieurs sources concordantes. Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Au Niger, deux rébellions revendiquent des attaques et réclament la libération du président Bazoum Ajouter à vos sélections Entre les deux voisins, la crise avait commencé mi-mai lorsqu’un tanker était arrivé dans les eaux béninoises pour procéder au tout premier export de brut. Le Bénin, dont les flux commerciaux étaient entravés depuis le coup d’Etat nigérien par la décision de la junte de maintenir fermée sa frontière, avait posé comme condition au début des exportations la réouverture de cette dernière. Mais à Niamey, le premier ministre Ali Lamine Zeine s’y était refusé. Le 5 juin, l’arrestation de cinq ressortissants nigériens sur le port de Sèmè-Kpodji, accusés par les autorités béninoises d’être pour certains des agents au service de la junte, avait envenimé la crise. Pour protester contre le ciblage de ces Nigériens travaillant selon Niamey pour une filiale de la China National Petroleum Corporation (CNPC), la société exploitante du pipeline, le régime avait fermé le lendemain les vannes du pétrole entre Agadem et Sèmè-Kpodji. Manque à gagner colossal Si les ressortissants avaient fini par être libérés mi-juin, trois d’entre eux furent condamnés à dix-huit mois de prison avec sursis pour « usurpation de titre et usage de données informatiques falsifiées ». Selon nos informations, leur sort est encore au cœur des discussions entre Niamey et Porto-Novo, car la junte tenterait de poser comme préalable à la reprise de la production de pétrole à Agadem, ainsi qu’à la réouverture de sa frontière, l’annulation de leur condamnation. En vain pour l’instant. Après quatre mois de crise, débloquer durablement l’écoulement du pétrole relève de l’urgence, tant pour la Chine que pour le Bénin et le Niger. Le manque à gagner est colossal. En se privant de l’export quotidien des quelque 90 000 barils de brut prévus, l’Etat nigérien, qui touche 25,4 % des recettes pétrolières en vertu de l’accord signé avec la CNPC, perd chaque jour près de 1,8 million de dollars (1,6 million d’euros). Or la crise économique en cours fragilise le régime. L’économie béninoise souffre quant à elle du maintien de la fermeture de la frontière du Niger : l’import-export représente en effet près du tiers du trafic annuel du port de Cotonou. La Chine, enfin, entend bien rentabiliser un investissement gigantesque de plus de 6 milliards de dollars. Lire aussi : Au Niger, les militaires au pouvoir attendent l’argent du pétrole Ajouter à vos sélections Mi-avril, Pékin avait accordé à la junte une avance sur recettes pétrolières de 400 millions de dollars, qu’elle s’était engagée à rembourser en un an avec un taux d’intérêt de 7 %. L’export du million de barils achevé le 20 août devrait donner une bouffée d’air au régime puisqu’il rapportera à Niamey environ 19 millions de dollars. « Mais tant que la production ne reprend pas à Agadem, on ne pourra pas honorer nos échéances auprès des Chinois. Et les intérêts à payer vont continuer à grimper », s’inquiète une source nigérienne proche du dossier. Selon ses estimations, la facture s’élève déjà à près de 3,5 millions de dollars d’intérêts supplémentaires pour l’Etat nigérien, depuis l’arrêt de la production de pétrole décrétée début juin. Suivez-nous sur WhatsApp Restez informés Recevez l’essentiel de l’actualité africaine sur WhatsApp avec la chaîne du « Monde Afrique » Rejoindre Ces dernières semaines, Pékin a multiplié les pressions sur le Niger et le Bénin pour qu’ils honorent les termes du contrat tripartite encadrant l’export du brut, signé en 2019. Une médiation chinoise, envoyée mi-mai à Cotonou et à Niamey, avait permis de débloquer le premier export d’or noir depuis les côtes béninoises. Mais, en parallèle, la Chine s’est vue proposer par le gouvernement nigérien une solution alternative qui a crispé la CNPC, selon plusieurs sources : abandonner l’export du pétrole depuis le Bénin pour privilégier la voie de l’est, à savoir le Tchad. L’option d’un second pipeline L’option tchadienne, qui consistait à relier les puits de l’Est nigérien aux côtes camerounaises par la construction d’un oléoduc passant par l’ouest du Tchad, avait été envisagée au moment de la construction du pipeline, mais finalement écartée par la Chine en 2018 suite à des études de faisabilité ayant démontré les plus nombreux avantages présentés par le Bénin. Celle-ci a pourtant été remise sur la table par le gouvernement nigérien dès début juin. « C’est irréaliste. Jamais la CNPC, qui a déjà construit un pipeline jusqu’au Bénin sans avoir pour l’heure rentabilisé son investissement, n’acceptera d’en bâtir un second jusqu’au Tchad », souligne Benjamin Augé, chercheur au sein de l’Institut français des relations internationales (IFRI). En 2011, la même CNPC avait déjà vécu un scénario similaire au Soudan du Sud tout juste indépendant, lorsque le président Salva Kiir avait tenté de convaincre Pékin de faire passer l’oléoduc par son territoire pour tirer profit des recettes du pétrole au détriment du Soudan, et ce malgré l’accord qui avait été conclu avec Khartoum de passer par Port-Soudan. Lire aussi | Niger : un an après le coup d’Etat, comment le général Tiani est parvenu à asseoir son pouvoir Ajouter à vos sélections En dépit du caractère somme toute illusoire de mener un tel projet avec N’Djamena, à Niamey, l’option a pourtant été discutée lors de deux visites de délégations officielles tchadiennes depuis début juin. Ainsi, entre le 10 et le 13 juillet, le directeur général adjoint de la Société des hydrocarbures du Tchad, Djimram Golsinda Esrom, et la ministre des mines, Ndolenodji Alixe Naïmbaye, ont été reçus par celui qui était alors ministre nigérien du pétrole, Mahaman Moustapha Barké. Ce dernier, réputé proche du premier ministre Lamine Zeine, qui était représentant de la Banque africaine de développement (BAD) à N’Djamena avant le putsch, a été limogé le 17 août sur ordre des militaires au pouvoir. Le résultat de sa mauvaise gestion du dossier pétrolier ? Contacté, le gouvernement nigérien n’a pas répondu aux sollicitations du Monde Afrique. Morgane Le Cam Réutiliser ce contenu



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