Retrouvez tous les épisodes de la série « Dalaï-lama, l’incroyable destin » ici. Une quarantaine d’années plus tard, l’anecdote fait encore rire Jean-Paul Ribes. Lorsque cet ancien journaliste, devenu l’infatigable défenseur de la cause tibétaine en France, rencontre pour la première fois le dalaï-lama, en 1986, il lui avoue mi-figue, mi-raisin : « Vous savez, Votre Sainteté, dans ma jeunesse j’ai été maoïste… » Le chef spirituel des Tibétains, secoué par l’un de ses grands rires, lui rétorque alors aussitôt : « Mais moi aussi ! » L’histoire ne relève pas de la simple boutade. Elle illustre les ambivalences du jeune dalaï-lama qui, après avoir vu son pays envahi par les soldats de la Chine maoïste,
en 1950, noua durant quelques années une relation quasi paternelle avec le Grand Timonier. Invité à Pékin par Mao Zedong, il fut même tenté de s’inscrire au Parti communiste et accepta le poste de vice-président de l’Assemblée nationale populaire, le parlement croupion du régime chinois. Le dalaï-lama pensait alors que marxisme-léninisme et bouddhisme pouvaient faire bon ménage. « Mao ? Oh, c’était un grand dirigeant, un grand dirigeant ! », confia-t-il au Monde, en 1996, ponctuant sa sortie d’un nouvel éclat de rire. Dans un registre similaire, il raconta plus tard avoir, à l’époque, offert une montre à l’ancien vice-premier ministre Xi Zhongxun, père de l’actuel président, Xi Jinping. « J’offrais des cadeaux de ce genre à des gens à l’égard desquels j’éprouvais des sentiments affectueux », précisa-t-il. Il faut dire que Tenzin Gyatso − son patronyme officiel de lama réincarné − n’a pas peur de dire les choses avec franchise, quitte à désarçonner ses interlocuteurs. Mirages Entendre le « Précieux Protecteur », comme l’appellent ses fidèles, admettre qu’il ait pu naguère avoir avec des dirigeants communistes une relation empreinte de complicité a tout de même de quoi surprendre. Surtout de la part du symbole vivant d’un pays qui doit à la Chine d’avoir cessé d’exister en tant que nation et fait face, depuis, à une sinisation croissante. Certes, les rapports entre le dalaï-lama et Mao s’avérèrent superficiels. A l’issue de leur ultime rencontre, en 1955, le maître de la Cité interdite lui prescrit une sévère ordonnance contre le « poison de la religion », terme qui laisse le dalaï-lama stupéfait. Quatre ans plus tard, après un soulèvement populaire dans la capitale tibétaine, Lhassa, il prend la fuite et installe en Inde son gouvernement en exil. Lire l’archive (2009) : Le “J’accuse” du dalaï-lama « Sa Sainteté », comme le désignent aussi tous les Tibétains, n’a plus depuis longtemps aucune illusion sur les mirages du « paradis socialiste » que les Chinois ont affirmé vouloir bâtir au Tibet. Sa sensibilité d’antan au charisme de Mao Zedong a fait place à des réactions horrifiées aux violences perpétrées en Chine et au Tibet occupé. Rien qu’entre 1950 et 1976, « le dalaï-lama et les Tibétains en exil estiment à plus de 1 million le nombre de leurs compatriotes morts du fait de la politique chinoise conduite au Tibet », écrit l’ancien correspondant de l’AFP à Pékin Pierre-Antoine Donnet, dans son livre Tibet mort ou vif (Gallimard, 1990). « Un Tibétain sur six serait ainsi mort de mort non naturelle durant cette période. » Il vous reste 85.32% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.
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