L’Airbus A350 affrété pour ramener le pape à Rome a décollé ce vendredi 13 septembre, à 5 h 50 du matin heure française. C’est le terme d’un harassant marathon de 32 800 kilomètres en Indonésie, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Timor oriental et enfin Singapour, où le pape a paru épuisé lors de la dernière messe qu’il a présidée, le 12 septembre.Son long séjour en Asie du Sud-Est et Océanie aura été un tour de force. Les caméras du monde entier ont filmé, douze jours durant, un pape, certes en fauteuil roulant, mais qui a tenu le choc jusqu’à la dernière étape. « J’ai l’impression que nous sommes plus fatigués que lui… », glissait même, le 10 septembre, un membre de sa délégation de plus de vingt ans son cadet, au terme d’une messe géante présidée sous un soleil de plomb, à Dili (Timor oriental), devant 600 000 personnes – près de la moitié de la population.Physiquement, le pape jésuite a pris un risque ces deux dernières semaines. Sur le plan pastoral, au vu des thèmes abordés lors de ses seize discours, il a en revanche repris de grandes idées déjà développées.En Indonésie, il a de nouveau appelé à dialoguer avec l’islam, signant avec l’imam de la Grande Mosquée Istiqlal de Djakarta, Nasaruddin Umar, un texte intitulé : Promouvoir l’harmonie religieuse pour le bien de l’humanité. En Papouasie-Nouvelle-Guinée, il a encouragé l’Église à lutter contre la pauvreté, en allant vers « les plus défavorisées des populations urbaines, ainsi que (vers) celles qui vivent dans les zones les plus reculées et abandonnées ».Au Timor oriental – où il a prononcé le discours le plus fort de son voyage –, il a demandé aux prêtres de « ne jamais abuser de leur rôle », sans toutefois prononcer le nom de Mgr Carlos Felipe Ximenes Belo, héros national accusé de pédocriminalité, que le Saint-Siège a sanctionné. À Singapour, enfin, il a appelé « à la protection de la dignité des travailleurs migrants ». A priori rien de nouveau.Les crocodilesMais pour comprendre la portée réelle de ce voyage, il faut se décentrer. Ce qui s’est joué là est bien autre chose qu’un séjour du pape de Rome aux confins de l’Église. En Asie du Sud-Est et en Océanie, François a en effet davantage visité un centre qu’une périphérie.Quatre jours avant son départ, le sous-secrétaire du dicastère pour la culture et l’éducation du Saint-Siège, Antonio Spadaro, qui l’accompagnait lors du voyage, comparait d’ailleurs sur X (ex-Twitter) le parcours papal avec celui, similaire, du porte-aéronefs Cavour de la marine Italienne. Une manière d’insister sur l’importance stratégique, militaire et géopolitique de la zone choisie par le pape, et dont les grandes puissances chinoise, américaine, ou encore japonaise se disputent l’influence.Le pape François (au centre) salue des enfants alors qu’il est assis avec le président du Timor oriental José Ramos-Horta (à droite) lors de sa cérémonie d’accueil au palais présidentiel de Dili, au Timor oriental, le 9 septembre 2024. / Alessandro Di Meo / EPA/MAXPPP Ce voyage nous concernait-il ? Dès les premiers jours à Djakarta, il était frappant de réaliser comment François était perçu par les Indonésiens, majoritairement musulmans. Dans ce pays où s’est tenue il y a soixante-dix ans la conférence de Bandung entre pays décolonisés, le pape argentin est surtout populaire pour ses positions sur les conflits en Ukraine et en Palestine, « non alignées » sur celles des diplomaties occidentales.À plusieurs reprises lors du voyage, François est apparu en leader du Sud global. Comme lorsqu’il a pris cette métaphore ciblant sans doute les influences du monde moderne, occidental, à Dili (Timor oriental), à la fin d’une messe présidée sur les rives de la mer de Savu. « Attention, car on m’a dit que des crocodiles viennent sur certaines plages, a dit le pape qui s’adressait aux jeunes. Faites attention à ces crocodiles qui veulent changer votre culture, votre histoire… »Mines d’or et de cuivreDurant douze jours, François s’est moins positionné sur des enjeux globaux que régionaux : culture, démographie, paix, partage des ressources… En Indonésie, il a par exemple choisi l’esplanade de la Grande Mosquée de Djakarta, et la rencontre interreligieuse qui s’y déroulait, pour glisser cette référence discrète à « la plus grande mine d’or du monde » : « S’il est vrai que vous abritez la plus grande mine d’or du monde, sachez que le trésor le plus précieux est la volonté », a-t-il dit, demandant « que les différences ne deviennent pas une cause de conflit mais s’harmonisent dans la concorde et le respect mutuel ».Sur l’île de Java, tout le monde a compris la référence à l’immense mine de Grasberg, située dans la partie indonésienne de la Nouvelle-Guinée, et exploitée par l’entreprise américaine Freeport-McMoRan. Elle a causé l’expropriation de milliers de Papous de leurs terres, totalement déforestées.Autre exemple sur le même thème : François a appelé à Port Moresby (Papouasie-Nouvelle-Guinée) les dirigeants du pays à « trouver un règlement définitif » à la question du statut de l’île autonome de Bougainville. Ce territoire avait été le théâtre, jusqu’en 1998, de combats sanglants nés de protestations des habitants contre le peu de retombées financières de l’exploitation d’une autre mine, de cuivre cette fois, à Panguna. Le conflit avait causé 20 000 morts.Certains de ces enjeux régionaux étaient aussi religieux. À son arrivée en Papouasie-Nouvelle-Guinée, François n’a pas été accueilli par le premier ministre protestant du pays, James Marape. Quatre mois auparavant, ce dernier avait pourtant fait faire le tour de l’île à Ted Wilson, responsable américain de son Église adventiste du 7e jour.Le pape, qui s’est présenté à Dili comme « un pèlerin sur les terres de l’Orient », les sait aujourd’hui très disputées. L’Indonésie comprend 7,41 % de protestants (3 % de catholiques). En Papouasie-Nouvelle-Guinée, ils sont 74 % (26 % de catholiques). Au Timor oriental, les autres Églises chrétiennes ne sont que 2 % tandis qu’à Singapour, elles ont le vent en poupe.6 000 îlesÀ presque chaque étape du voyage, le pape a d’ailleurs fait l’éloge de l’élan missionnaire, dans une version bien particulière : décléricalisée, désoccidentalisée, axée sur l’action sociale et l’éducation et très « inculturée », c’est-à-dire qui s’adapte aux cultures et langues locales. Dans la cathédrale de Dili, il avait semblé trouver un alter ego dans la figure d’un catéchiste timorais de deux ans son aîné (89 ans), Florentino de Jesus Martins, qu’il a écouté avec passion témoigner de ses soixante et une années de mission sur les routes non carrossables de l’archipel.Le 4 septembre à Djakarta, il avait demandé à une catéchiste de rester quelques minutes à ses côtés après son témoignage, la faisant applaudir par l’assemblée. « Les catéchistes sont ceux qui vont de l’avant, expliquait le pape. Ensuite viennent les religieuses – immédiatement après les catéchistes – ; ensuite viennent les prêtres, l’évêque… Mais les catéchistes sont au front, ils sont la force de l’Église. »Indispensables, pour tenter de mailler des territoires immenses. L’Église indonésienne compte 2 466 prêtres, 9 658 religieuses et 21 932 catéchistes, pour près de 6 000 îles habitées.—Cinq temps forts du voyageDjakarta (Indonésie). Le pape a appelé le 4 septembre au dialogue interreligieux, « ce qui est indispensable pour (…) contrecarrer l’extrémisme et l’intolérance, lesquels en déformant la religion tentent de s’imposer en se servant de la supercherie et de la violence ».Port Moresby (Papouasie-Nouvelle-Guinée). Alerté de la montée d’une forme particulière de violences faites aux femmes dans ce pays, François a insisté, le 7 septembre, pour que « cessent les violences tribales ».Vanimo (Papouasie-Nouvelle-Guinée). « La beauté peut guérir le monde », a-t-il dit à l’orée de la forêt primaire, le 9 septembre.Dili (Timor oriental). Le pape a demandé le 9 septembre à remédier « au phénomène de l’émigration », le décrivant comme « un indice d’une utilisation insuffisante ou inadéquate des ressources ».Singapour. Le 12 septembre, le pape a appelé à ne pas « légitimer l’exclusion de ceux qui sont en marge des bénéfices du progrès ».
François, figure du Sud global
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