BORIS SÉMÉNIAKO La polémique suscitée par la parution dans Le Monde, le 31 août, d’une tribune écrite par d’éminents tibétologues et sinologues français affirmant que deux grands musées nationaux ont « courbé l’échine » devant les « desiderata » de Pékin, à propos de l’exposition d’objets d’art tibétains, continue de faire des vagues dans les milieux concernés. Cette tribune, qui accusait le Musée national des arts asiatiques-Guimet et celui du quai Branly-Jacques-Chirac, à Paris, d’avoir, pour complaire à la Chine, « effacé » de leurs salles le nom de « Tibet » (qui fut, au cours de sa longue histoire, un royaume indépendant ou semi-indépendant avant son invasion par les soldats maoïstes en 1950), provoque de nouveaux remous : le président du gouvernement tibétain en exil, qui siège dans la ville de Dharamsala, en Inde, a envoyé une lettre de protestation aux ministères de la culture et des affaires étrangères, à la maire de Paris ainsi qu’aux musées mis en cause. Lire le récit (2023) | Article réservé à nos abonnés Dharamsala, sanctuaire du dalaï-lama et fief indien des Tibétains exilés Ajouter à vos sélections « Je vous écris pour vous exprimer ma plus vive préoccupation et ma déception en ayant appris que [ces deux musées] utilisent [la dénomination chinoise de] “Xizang” et de “Monde himalayen” au lieu de “Tibet” [pour présenter] leurs collections d’art tibétain », souligne le sikyong (« président ») Penpa Tsering. Selon le représentant élu de l’instance tibétaine en exil, « non seulement le terme de “Xizang” déforme l’histoire du Tibet en tant que nation indépendante, mais il soutient aussi les efforts en cours de la part du gouvernement chinois visant à supprimer l’identité tibétaine ». Sémantique chinoise Le Musée Guimet et celui du quai Branly sont critiqués pour deux faits distincts, même s’ils sont du même ordre : à Guimet, les tibétologues reprochent les changements nominaux décidés dans l’espace d’exposition encore récemment présenté sous le label « Népal-Tibet » : les arts tibétains et népalais sont désormais regroupés sous le vocable « Monde himalayen », accréditant le soupçon d’une volonté de marginaliser le nom même de Tibet – qui reste tout de même mentionné dans certains cartels d’explication apposés devant les vitrines. Quant au Musée du quai Branly, il lui est reproché d’avoir utilisé depuis des années l’appellation « région autonome du Xizang » pour désigner le Tibet, alimentant, là aussi, les suspicions d’un parti pris pro-Pékin… Pour comprendre les raisons de cette polémique, il faut expliquer pourquoi l’utilisation d’une sémantique chinoise heurte les Tibétains et met en colère certains experts du Tibet : d’abord, l’appellation de « Xizang » (terme signifiant « trésor de l’Ouest », que les Chinois utilisent pour désigner le Tibet) est, depuis la fin 2023, imposée par Pékin dans toute sa documentation en langue étrangère et ses échanges diplomatiques consacrés au Tibet. Il vous reste 70.46% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.
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Le risque d’effacement du Tibet à l’œuvre dans les musées français
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