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Modi ou l’avènement inquiétant du nationalisme hindou

by News7
Modi ou l’avènement inquiétant du nationalisme hindou



«Qui d’autre que Modi ? C’est notre roi ! » Ghanshyam Dass Bansal, 58 ans, s’anime dans son échoppe quand on lui demande pour qui il va voter aux élections législatives. On aurait pu le deviner à sa devanture surchargée de drapeaux safran, les mêmes qui saturent tout autour les rues du marché New Kondli. Ici comme partout à New Delhi, ces emblèmes de l’hindouisme ont été installés en masse en janvier dernier, à l’approche de l’inauguration d’un grand temple consacré au dieu Ram dans la ville d’Ayodhya, distante d’environ 600 kilomètres, par nul autre que le premier ministre lui-même. Une rupture sans précédent avec la tradition de l’Inde contemporaine consistant à traiter les cultes à égalité.Demeurés là depuis, ces drapeaux viennent matérialiser la « nouvelle ère » promise par Narendra Modi lorsqu’il inaugura ce temple bâti sur les ruines d’une mosquée détruite en 1992 par des extrémistes hindous. Une ère où l’Inde briserait enfin « les chaînes de la mentalité esclavagiste». Selon cette interprétation de l’histoire portée par le chef du gouvernement et son parti le BJP (« Parti indien du peuple »), l’Inde aurait été asservie pendant douze siècles par les dirigeants musulmans puis britanniques. Pour retrouver sa souveraineté et son identité, il importerait dès lors de revenir « à la source » en affirmant la primauté culturelle de l’hindouisme, en premier lieu sur l’islam et le christianisme.Remodeler l’identité de l’IndeSymboles de la pénétration de cette vision, pas moins d’un million de fanions et d’étendards orange auraient ainsi été hissés depuis janvier dans les marchés de la capitale. Et nul ne sait combien de millions d’autres ont surgi sur les toits et aux fenêtres des immeubles d’habitation. Une inscription stupéfiante du nationalisme hindou dans l’espace public, dont aucun commerçant de New Kondli ne semble envisager la fin. « Je n’enlèverai jamais ces drapeaux ! », jure Ghanshyam Dass Bansal qui, comme beaucoup ici, voit dans le temple d’Ayodhya la plus belle réussite de Narendra Modi. «Ils nous remplissent de fierté. Ils resteront ici aussi longtemps qu’il plaira à Dieu !»Ghanshyam Dass Bansal, 58 ans, dans son échoppe, est un fervent partisan de Narendra Modi. / Vijay Pandey pour La Croix Ces drapeaux ne sont pas les seuls signes de l’ambition du BJP de remodeler l’identité du pays. À New Delhi, des rues évoquant le passé musulman de la ville ont été renommées. Ailleurs, dans les États gouvernés par le parti au pouvoir ou ses alliés, ce sont des villes aux noms marqués par l’islam qui ont retrouvé un toponyme de tradition hindoue présenté comme « originel ». Ainsi d’Allahabad, en Uttar Pradesh, renommée Prayagraj, ou d’Osmanabad et Aurangabad au Maharashtra, rebaptisées respectivement Dharashiv et Chhatrapati Sambhajinagar. Fief historique de Narendra Modi, la ville d’Ahmedabad a échappé pour l’heure à ce traitement, les autorités craignant qu’il ne lui fasse perdre son statut de « ville du patrimoine mondial » attribué par l’Unesco.« Je ne déteste pas Gandhi… »Cette relecture de l’histoire n’épargne pas les figures fondatrices de l’Inde contemporaine, le Mahatma Gandhi et Jawaharlal Nehru. Le projet ethno-nationaliste du BJP s’oppose en effet frontalement à celui, séculier et pluraliste, de ces deux pères de l’indépendance indienne, qui se voient également reprocher la partition de l’Inde et du Pakistan en 1947. Ce n’est donc pas un hasard si le Musée-Mémorial Nehru, importante institution de recherche en sciences sociales à New Delhi, a été renommé « Musée et bibliothèque du premier ministre » en août 2023.À l’inverse, le gouvernement Modi s’efforce depuis son arrivée au pouvoir en 2014 de promouvoir d’autres figures historiques. Parmi elles, le très controversé Vinayak Damodar Savarkar. Né en 1883, il est le fondateur de l’hindutva, cette idéologie prônant la suprématie des hindous sur l’Inde. En novembre 2022, en amont de la présidence indienne du G20, les officiels indiens ont ainsi invité les délégations étrangères à visiter la cellule de prison dans laquelle cette personnalité sulfureuse avait été incarcérée par les Britanniques. Une partie du monde de la culture participe également à cette entreprise, comme l’illustrait en mars la sortie d’un film hagiographique à grand budget consacré à Savarkar, dans lequel on l’entend déclarer : « Je ne déteste pas Gandhi, je déteste la non-violence. »« Savarkar est important pour les nationalistes hindous car il leur permet de combler une grosse lacune historique : celle de n’avoir pas participé à la lutte anticoloniale, explique Christophe Jaffrelot, directeur de recherche au CNRS et spécialiste de l’Inde. Donc Savarkar les aide à se légitimer. Autrefois, une telle référence aurait été une tache, à cause de sa proximité avec les assassins de Gandhi. »Or, on a justement vu ces dernières années disparaître des manuels d’histoire la mention de l’allégeance de Nathuram Godse – l’assassin du Mahatma Gandhi – au RSS (Association des volontaires nationaux), organisation paramilitaire dont est issu le BJP… et au sein de laquelle Narendra Modi a fait carrière avant d’accéder à des fonctions politiques. « Le discours des autorités sur le Mahatma est d’une grande hypocrisie, ajoute Christophe Jaffrelot. Modi continue de lui rendre hommage pour donner des gages à l’Occident, mais en interne ses lieutenants le critiquent de façon systématique et font de son meurtrier un héros. »« Même dans l’opposition, on doit montrer qu’on est hindou »Assis sur un canapé défoncé, dans un des bâtiments bas sertis de pelouses qui forment à New Delhi le siège historique du Parti du Congrès, un cacique du mouvement déplore ce nouvel univers politique saturé de religieux, dans lequel les tenants traditionnels du sécularisme peinent à trouver pied. « Maintenant, même dans l’opposition on se sent sommé de montrer publiquement que l’on est hindou, soupire cet ancien membre du Parlement sous couvert d’anonymat. Comme si pour être médecin il fallait se balader toute la journée avec son stéthoscope autour du cou !»Plusieurs figures du parti en lice pour les élections législatives se sont ainsi vues accusées de pratiquer un « soft hindutva » pour avoir multiplié visites de temples et appels du pied aux fidèles hindous durant leur campagne. Manière de réagir aux flèches incessantes du BJP, qui accuse régulièrement l’opposition d’être « anti-hindouisme ».Un million de fanions et d’étendards orange ont été hissés depuis janvier dans les marchés de la capitale. / Vijay Pandey pour La Croix Mais face à ce piège qui pousse l’opposition à situer elle aussi son discours dans un registre religieux, ce politique préconise une autre stratégie : souligner la « mauvaise gouvernance » du gouvernement Modi. « Le chômage, l’inflation, la corruption endémique dans l’administration, l’arrogance des dirigeants, l’indigence des services publics, énumère-t-il, c’est sur ces lignes de faille qu’il faut appuyer, et proposer une alternative.»Est-ce intentionnellement qu’il omet de mentionner les atteintes aux droits des musulmans ? L’homme assure que non. « Le BJP travaille sur toutes les divisions. Regardez leur silence face à ce qui se passe au Manipur.» Dans cet État frontalier de la Birmanie, plus d’une centaine de personnes ont trouvé la mort depuis 2023 dans des affrontements interethniques entre la communauté hindoue des Meiteis, majoritaire, et les minorités des Nagas et des Kukis, chrétiennes pour la plupart. « Leur projet, termine l’ancien parlementaire, c’est l’Hindu Rashtra. »Hindu Rashtra : l’expression signifie « nation hindoue ». Conceptualisée par Savarkar, elle est aujourd’hui employée par une partie des nationalistes hindous pour revendiquer l’inscription dans la Constitution indienne de la prééminence de l’hindouisme dans le pays. Une telle mesure opérerait une redéfinition radicale de l’identité politique de l’Inde depuis son indépendance. Le gouvernement de Modi ne l’a jamais fixée officiellement comme un objectif. Mais certains observateurs de la vie politique indienne interprètent ainsi son ambition déclarée d’obtenir une majorité suffisante au Parlement pour être en mesure d’amender la Constitution.Citoyens de seconde zone« Pourquoi nous faut-il 400 sièges (à la chambre basse du Parlement indien) ? Car les dirigeants du Parti du Congrès, par le passé, ont inscrit dans la Constitution des changements qui n’accordent pas la première place à l’hindouisme, lançait en mars le député Anantkumar Hegde, vieux routier du BJP dans l’État méridional du Karnataka. Nous devons changer cela et sauver notre religion. » D’aucuns y ont vu un ballon d’essai, vite dégonflé par les autorités. Après avoir assuré que les déclarations de l’élu ne reflétaient que « ses opinions personnelles », le parti au lotus l’a clairement désavoué fin mars en ne lui renouvelant pas son investiture.Fin de l’affaire ? Voire. Rencontré à New Delhi dans un centre de conférences prisé par les opposants, le professeur Apoorvanand résume la situation. « La direction dans laquelle Modi et le BJP veulent amener l’Inde est très claire. S’ils ne le font pas en changeant la Constitution, ils le feront en promouvant des lois qui rendront caduque la Constitution», prédit ce professeur d’hindi à l’université de New Delhi et commentateur régulier de la politique indienne.À ses yeux, ce projet est déjà bien lancé. Des lois comme celle empêchant les musulmans d’acheter certaines terres ou celle interdisant à des musulmans étrangers d’obtenir la nationalité indienne contribuent d’ores et déjà à en faire des citoyens de seconde zone.—Les musulmans, premières cibles de l’hindutvaLes musulmans représentent environ 15 % de la population indienne, soit près de 200 millions de personnes, faisant d’eux la première minorité religieuse du pays devant les chrétiens (2,3 % de la population), les sikhs (1,7 %) et les bouddhistes (0,7 %). Ils n’occupent que 5 % des sièges de la Lok Sabha, la chambre basse du Parlement.Les discriminations et les violences envers la minorité musulmane existent depuis des décennies, mais ont connu une progression sous Modi, encouragées par un climat d’impunité, et l’adoption par le gouvernement et les autorités locales de lois et de pratiques administratives discriminantes envers les musulmans.Adoptée en décembre 2019, la loi sur la citoyenneté marque une rupture en appliquant pour la première fois un critère religieux dans l’attribution de la citoyenneté indienne. En sont désormais exclus les musulmans d’Afghanistan, du Bangladesh et du Pakistan.



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