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Au Kirghizistan, l’arrestation de onze journalistes illustre le tournant autoritaire du régime

by News7
Au Kirghizistan, l’arrestation de onze journalistes illustre le tournant autoritaire du régime



Une femme tient une banderole affichant le portrait du journaliste Bolot Temirov lors d’un rassemblement appelant à sa libération, à Bichkek (Kirghizistan), le 23 janvier 2022. VYACHESLAV OSELEDKO / AFP Nazgul Matanayeva ne peut s’empêcher de pleurer lorsqu’elle évoque le sort de sa fille Aike Beishekeyeva, une jeune journaliste kirghize qui attend son procès dans un centre de détention de la capitale, Bichkek. « Je lui ai dit que c’était un travail dangereux, mais elle cherchait toujours à me rassurer. » Au Kirghizstan, les journalistes se font de plus en plus rares. Le 16 janvier, le jour de son vingt-troisième anniversaire, Aike Beishekeyeva a été arrêtée pour « incitation à des troubles de masse », aux côtés de dix journalistes et activistes. Tous sont ou ont été employés par Temirov Live, un média dont les enquêtes vidéo ont levé le voile sur la corruption des élites dirigeantes de ce pays d’Asie centrale, du fils du président au chef des services secrets. Les détenus risquent des années de prison en cas de condamnation. Selon les observateurs, cette vague d’arrestations participe d’une campagne d’intimidation dirigée contre le journaliste Bolot Temirov, créateur du média éponyme. Cet homme de 44 ans a lui-même déjà payé cher pour ses investigations et critiques virulentes à l’encontre du gouvernement. Au cours des dernières années, il a été battu, mis sur écoute par les services secrets, privé de sa citoyenneté et expulsé vers la Russie. Lire aussi | Au Kirghizistan, un tribunal ordonne la fermeture du média Azattyk, branche locale de Radio Free Europe/Radio Liberty Ajouter à vos sélections Travaillant désormais depuis un lieu tenu secret en Europe, M. Temirov diffuse un flux incessant de vidéos et de messages sur les réseaux sociaux pour dénoncer l’impunité des autorités et exiger qu’elles libèrent ses collègues. Sa femme a été avertie que leur fils de 11 ans pourrait être placé en orphelinat si elle ne coopérait pas avec la justice. Une vidéo présentée comme preuve « Les autorités veulent brûler tout ce qui entoure Temirov, afin qu’il n’ait plus d’équipe, s’indigne Leila Nazgul Seiitbek, militante kirghize des droits humains en exil à Vienne. Il s’agit d’effrayer tous ceux qui souhaiteraient le soutenir ou s’engager dans des activités similaires. » Pour justifier la récente vague d’arrestations, les autorités kirghizes n’ont, à ce jour, présenté qu’une seule « preuve » : une vidéo publiée en décembre 2023 sur Ait Ait Dese, une chaîne YouTube de la galaxie Temirov, qui contiendrait des « appels à des troubles de masse ». Dans cette vidéo, l’épouse du journaliste, Makhabat Tazhibek Kyzy, dénonce avec colère la corruption et les autorités « en place depuis trente ans ». « Elle dit dans cette vidéo que tous les coups d’Etat et toutes les révolutions sont inutiles, parce qu’un clan ne fait qu’en remplacer un autre. ll est difficile de décrire cela comme un appel à la révolution », défend Bolot Temirov. Le journaliste relève qu’à l’exception de son épouse, « aucune des autres personnes [détenues] n’a de lien avec cette vidéo », « pas même le caméraman ». Six d’entre elles ne sont même plus employées par Temirov Live. Les autorités kirghizes se refusent à commenter l’affaire. Le président Sadyr Japarov l’a toutefois évoquée dans des termes révélateurs au cours d’un entretien récent avec le journal Vecherniy Bishkek. « Dans la période turbulente et agitée que nous traversons, la liberté d’expression est étroitement liée à la responsabilité, a déclaré le chef de l’Etat. A cet égard, nous devons prendre des mesures préventives. » Un parfum d’absurde L’attaque contre l’équipe de Temirov Live s’inscrit dans un contexte de malaise démocratique croissant au Kirghizstan. Le pays, souvent qualifié d’« îlot démocratique », était autrefois la plus libre des anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale. Bien que connu pour ses fréquentes révolutions – il en a connu trois depuis son indépendance en 1991 –, le pays a longtemps organisé également de véritables élections, disposait d’une scène médiatique et d’une société civile vigoureuses, comptant des groupes féministes et des défenseurs des droits des personnes handicapées. Comprendre : Pourquoi le Kirghizistan s’enfonce dans le chaos politique, en 4 points Ajouter à vos sélections L’étau s’est toutefois resserré depuis quelques années sous la houlette d’un président qui allie une rhétorique populiste à des méthodes de contrôle évoquant la Russie poutinienne. « Les gens ont très peur, témoigne la militante Leila Nazgul Seiitbek. Dans certains cas, nos collègues hésitent à rapporter dans le pays des livres de leurs voyages à l’étranger. Cela ne s’était jamais produit auparavant. » Le Monde Application La Matinale du Monde Chaque matin, retrouvez notre sélection de 20 articles à ne pas manquer Télécharger l’application Tout le monde craint d’être la prochaine cible, d’autant plus que les situations frisent parfois l’absurde. Ainsi, lorsque le média indépendant Kloop a été fermé par décision de justice en février, les procureurs ont convoqué des psychiatres pour démontrer que le média « affectait la santé mentale des gens » en les « perturbant » avec des informations négatives. Dans le classement mondial de la liberté de la presse de Reporters sans frontières, le Kirghizstan a perdu 50 places en un an (se plaçant à la 122e place sur 180 en 2023). « Très forte influence russe » Comment le Kirghizstan en est-il arrivé là ? « Il n’y a pas d’institutions pour mener à bien la démocratisation, avance Asel Doolotkeldieva, politologue à l’Académie de l’OSCE à Bichkek, dans un récent épisode du podcast « Talk Eastern Europe ». Il faut des partis politiques, il faut des idéologies, de gauche, de droite, il faut des conflits politiques appropriés pour formuler ces idéologies. Sans cela, on ne peut pas s’attendre à des changements durables. » En effet, c’est un soulèvement populaire qui a mis au pouvoir les dirigeants actuels du Kirghizstan. En octobre 2020, le peuple a envahi les rues pour protester contre les résultats d’une élection perçue comme truquée et contre la gestion de la pandémie de Covid-19. Dans le chaos, Sadyr Japarov a été libéré de la prison où il purgeait une peine de dix ans de détention pour enlèvement. L’homme politique populiste a immédiatement pris la tête du gouvernement, avant de se faire élire président quelques semaines plus tard. Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Sadyr Japarov, champion des « patriotes » kirghiz, prend le pouvoir Ajouter à vos sélections En tandem avec son allié Kamtchybek Tashiev, placé à la tête de services secrets à l’influence croissante, M. Japarov n’a cessé de renforcer son emprise sur le pays. Maniant à l’envi la rhétorique nationaliste, en prétendant représenter les citoyens kirghiz ordinaires face à une influence étrangère diabolisée, le chef de l’Etat a fait adopter une série de lois répressives sur la désinformation, les médias, le secteur associatif et les « agents étrangers ». Le fait que cet arsenal juridique rappelle les lois utilisées contre les dissidents en Russie est, selon les observateurs, davantage qu’une coïncidence. La militante Leila Nazgul Seiitbek estime que la « très forte influence russe » subie par le régime s’explique par sa « faiblesse » : « Ils doivent compter sur quelqu’un pour protéger leur pouvoir et les maintenir au pouvoir, et considèrent donc traditionnellement Poutine comme le garant de leur sécurité. Et lorsque vous avez Poutine comme seigneur protecteur, il est évident que vous ne pouvez pas faire grand-chose en termes de développement de la démocratie. » Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Dans l’ancien empire soviétique, la reprise des conflits révèle l’impuissance de la Russie Ajouter à vos sélections Cet article est l’adaptation française d’un texte initialement publié par le consortium Organised Crime and Corruption Reporting Center (OCCRP). Ilya Lozovsky(OCCRP, avec Eldiyar Arykbaev et Vyacheslav Abramov) Réutiliser ce contenu



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